jeudi 21 février 2008

Ahlan wa sahlan !

Mercredi 20 février:

Je vais encore vous parler des gens d’ici, mais en même temps, si j’aime tellement cette ville, c’est essentiellement grâce à sa population, donc elle mérite bien sa petite part de reconnaissance. En effet, la capitale jordanienne reste tout de même relativement moche même si le dernier titre du bouquin de Myriam essaye de faire croire l’inverse. De pierre et de paix. La ville est effectivement faite de pierre (pas vraiment très jolies). Elle aurait pu l’appeler de béton et de paix, personne ne l’aurait contredite, mais le titre aurait certainement été moins vendeur…Pour ce qui est de paix, il suffit de passer quelques minutes avec les locaux pour s’en rendre compte.
Je rectifie toutefois les méchancetés que j’ai pu me permettre sur le physique de la ville, Le quartier de la citadelle est plutôt agréable. Il permet d’observer toute l’agitation de la ville avec les bruits en moins et dans un environnement vierge de toute construction. Ajoutez à cela un joli couché de soleil et je défis quiconque de ne pas tomber sous le charme.
Revenons en à nos moutons, ou plutôt à nos Ammanîs…Il ne se passe pas un jour sans qu’une preuve d’humanité ne me soit donnée. De rencontres en rencontres, les gens me prouvent que ce qui d’après moi a permis à l’Homme d’évoluer jusqu’à ce qui l’a été jusqu’il y a encore peu de temps, à savoir un être civilisé, pouvant communiquer avec les autres membres de son espèce, n’a peut être pas tout à fait disparu de la planète terre. C’est vrai, croyez vous vraiment que les hommes préhistoriques auraient réussi à se démerder tout seuls pour chasser, inventer le feu ou un langage…?! Ben non !
Je ne pense franchement pas que ce soit la bourse ou encore des machines qui nous fassent avancer vers un avenir meilleur, mais bien les relations humaines !!!
J’arrête, ça commence vraiment à faire utopiste et je connais un mec rue Didot qui ne va pas me louper en rentrant sur Paris.

Je pourrais vous parler de tellement de personnes, tellement d’exemples me viennent en tête. Je vais en fait commencer par la SEULE histoire un peu bizarre qui m’est arrivée depuis mon arrivée. Et peut être qu’en fin de compte, ce n’était encore qu’une belle preuve de sympathie seulement mal interprétée. Quoique je n’en sois tout de même pas certain… C’était il y a deux jours, j’étais assis à l’une des longues tables qu’abrite l’une de mes deux cantines favorites, le Al-Quds (Jerusalem) restaurant. Là, un homme d’une petite trentaine d’années me demande s’il peut s’asseoir en face de moi. J’accepte volontiers me disant que ce pouvait être l’occasion de me faire un ami supplémentaire. Problème, ce dernier parle aussi bien l’anglais que je parle l’arabe. La discussion tourne court, soit cinq mots dans chaque langue. Arrive la fin du repas et ce dernier insiste pour m’inviter. Ce n’est pas la première fois qu’un jordanien m’invite à manger, mais normalement, nous parlons au cours du repas. Même si ça me gêne toujours, je sais qu’il ne faut pas refuser trop longtemps au risque de les vexer. Mais cette fois-ci, pas question, je refuse une bonne dizaine de fois surtout que pendant tout le repas, il me regardait d’un air un peu bizarre. Comme prévu, il se vexe vraiment ! « Bon ben écoute mon gars, si tu le prends comme ça paye la ma note, mais t’es quand même bien couillon ! » Nous sortons du resto, mais lui n’a pas décidé d’en rester là, il me propose de venir chez lui. Là encore, ça n’aurait pas été la première fois que j’acceptais de partager un moment de vie d’une famille jordanienne, mais il ne m’inspire qu’à moitié. Youssef ! Lui va pouvoir me débarrasser de ce boulet et en plus son magasin est à deux pas. Direction le magasin de téléphone de la première personne que j’ai rencontré dans ce pays. Il me voit arriver, toujours content de me voir, mais il remarque vite ce type un peu bizarre. Il lui invente une excuse pour lui dire que je ne pouvais pas le suivre. Il fait mine de s’en aller mais reste devant le magasin. Il rerentre me demander mon numéro de téléphone. Première tentative avec un faux numéro, mais il essaye de m’appeler et calcul vite la supercherie…Je lui donne donc le vrai. Il m’a rappelé hier, j’ai esquivé et pas de nouvelles depuis. Raconté comme ça, il ne fait aucun doute qu’il ne me voulait pas que du bien, mais je n’en suis pas vraiment sûr. Tiens, bon exemple pour montrer le pouvoir des journalistes qui peuvent vraiment nous faire entendre une information telle qu’ils en ont envie…

Donc une seule petite “mésaventure“ en trois semaines dans un pays du Moyen Orient, vu en occident comme un endroit si dangereux, ce n’est pas si mal. Si l’on commence à parler de tous les gens qui ont été là pour m’aider, me parler, etc., la liste va être interminable. Je vais donc me contenter de ne parler que de ceux avec qui j’ai un contact régulier. La plupart, je ne les ai vu que trois ou quatre fois au total, mais il leur arrive tout de même de m’appeler pour voir si tout va bien, si j’ai besoin de quelque chose, simplement prendre des nouvelles. Youssef le vendeur de téléphone est la première personne à qui j’ai parlé en Jordanie. C’est à lui que j’ai acheté ma puce de téléphone portable. Il m’a tout de suite dit « here it’s your shop my friend, if you need something, anything, not just for your phone, you come here ! ». C’est ce que j’ai décidé de faire et j’ai remarqué que ce n’était pas des paroles en l’air. La dernière en date était avec le type bizarre. Ce soir, je suis passé au magasin où son nouveau collègue nous a inviter à manger chez lui la semaine prochaine. Ensuite, Youssef m’a emmener manger les meilleurs chicken burgers d’Amman et des kunafa (dessert au fromage recouvert de vermicelle et de sirop) dans l’un des plus vieux lieu spécialisé dans la chose à Amman. Encore une fois, impossible de payer, ce qui commence à pas mal m’énerver à force. On a passé notre soirée à discuter en marchant dans la ville basse. De la Palestine, des nombreux boulots qu’il a eu depuis l’âge de ses 10 ans, de ses 12heures de travail quotidiens et ce 7 jours sur 7, de sa vie ici qu’il ne supporte plus, des visas impossible à obtenir en Europe pour quelqu’un comme lui. Et moi à côté qui lui parle de mon sujet d’étude sur les mobilités des marchands du souk de Wihdat, avec mon voyage financé par l’IFPO et papa maman…Mais tout cela l’intéresse et à aucun moment il n’essaye d’obtenir quoi que ce soit de moi ! C’est fou ce qu’on peut se sentir con par moment.
On se quitte vers 22h30 car il commence à 08h30 demain et il est déjà complètement crevé. “Mais toi aussi tu travailles demain David, t’as encore beaucoup de choses à faire pour tes recherches“. Oui c’est vrai Youssef, mais à l’heure qu’il est, j’ai assez honte de ne pas en avoir un peu plus…

Parlons de travail. Je passe de plus en plus de temps dans le camp en ce moment. Cela s’appel de l’observation participative et ça fait parti du dur métier de chercheur. Passer un maximum de temps dans le milieu étudié et essayer d’être le plus possible en contact avec sa population. Ca ne me déplaît pas du tout, au contraire, je trouve ça plutôt pas mal et très intéressant. Ca permet de faire de super rencontres et de passer de bons moments.
Donc à force de traîner dans le souk, espace d’environ 100 m. carrés, les gens commencent à reconnaître Daoud…Plus de problème avec mon prénom, ils ont compris que je n’étais pas juif et encore moins un espion pour Israël. Et si par hasard quelqu’un me pose la question, Youssef et Ali mes deux meilleurs amis dans le camp (on appel ça des personnes ressources en chercheur, mais j’aime pas trop les voir comme des personnes dont je pourrais me servir) s’empressent de répondre à ma place et de remettre les choses bien en place. Ils me présentent à tous leurs amis dans le camp ce qui fait que je passe maintenant un bon moment tous les jours en arrivant à aller passer le Salam aux différents marchands. Aujourd’hui par exemple, je ai passé une bonne partie de l’après-midi dans la petite boucherie de 4m. carrés des deux frères Youssef et Ali. On ne se comprend que très difficilement, mais on y arrive. Et puis entre tous les gens qui passent par là, il y en a toujours un ou deux pour blablater un peu plus anglais à chaque fois. Les réfugiés sont très solidaires entre eux. Leurs liens d’amitiés sont puissants et sincères. Ils ont traversé les mêmes galères et partagent une mémoire commune. Ils ont grandis dans le souk à aider leurs pères et maintenant, ce sont leurs enfants qui les aident.
Ils apprécient les choses simples. En trois heures et demie cet après-midi, on a discuté, rigolé, appris à écrire arabe, bu du thé, du café, parfois entassés à 7 dans la boucherie autour du micro chauffage portatif, mais tout le monde était heureux et a passé un bon moment. Mes deux amis psychologues pourront peut-être me faire un commentaire sur la phrase qui suit, mais selon moi elle est assez significative de l’état d’esprit des gens du camp.
Nous étions 5 en tout, voilà ce qu’ils m’ont appris à écrire. Malik, Youssef, Ali, Salim, Daoud (c’est moi en arabe) et ahlan wa sahlan (bienvenue)…
Est-ce qu’on aurait appris à écrit ça à un étranger venu passer un mois en France ? Je n’en suis pas vraiment, sûr, en tout cas, je me suis posé la question et ça n’aurait pas fait partie des premiers mots auquel j’aurais pu penser.
Ils n’ont de cesse de me mettre en garde contre ce qui pourrait m’arriver ici. Laisse pas traîner ton sac, ne te promène pas seul en dehors de la zone commerciale du camp, si tu as besoin d’y aller on t’accompagne, garde toujours ton passeport contre toi, ne laisse pas apparaître tes billets devant des inconnus, etc… C’est sympa, mais en même temps, j’ai du mal à croire qu’il pourrait m’arriver quelque chose ici car tout le monde est aussi bien veillant qu’eux.

Je sortais du restaurant ce midi dans le camp et un jeune commence à me parler en arabe. Un peu fou-fou du haut de ses 18ans, je ne comprends rien à ce qu’il me raconte. Il m’emmène voir un vendeur ambulant qui parle anglais. Nous discutons un peu tous les trois et je lui demande au bout d’un moment où est ce que je peux trouver un coupe ongle… Oui oui, il est bien pour moi le coupe ongle, vous ne rêvez pas, je n’ai pas croqué un seul petit bout de mes doigts depuis mon arrivée ! Tout de suite le vendeur me dit “half dinar, no more“, le jeune m’attrape le bras et nous voilà parti bras dessus bras dessous vers un magasin. Il me fait choisir un couple ongle, le récupère, le paye, encore une fois je n’ai pas le choix, et repars en me faisant comprendre que si j’avais besoin de quoi que ce soit d’autre il était toujours devant le resto…

J’ai aussi fais une rencontre assez impressionnante cet après-midi. Le réparateur de frigo des bouchers du camp. Youssef me propose de le suivre je ne sais où. J’accepte, c’est de l’observation participative…Nous voilà parti dans les ruelles du camp, celles dont l’aspect n’a pas vraiment changé depuis sa création. C’est ici où la misère se ressent le plus à vrai dire. Il s’arrête et frappe à une porte. Quelqu’un vient nous ouvrir et nous entrons dans une grande salle, c’est à dire que le propriétaire a dû racheter au moins 3unités d’habitation rien que pour cette pièce. Elle ressemble à une salle de prière. Le muezzin vient de faire son appel, je me demande donc s’il m’emmène prier. J’avoue que je suis un peu perplexe à ce moment là.
On nous ouvre la porte d’un “petit“ salon, soit une autre unité et un homme arrive quelques secondes après. Il est assez impressionnant. Il s’installe dans un fauteuil et se présente dans un parfait anglais. ‘I was an ingenior in refrigeration in Totenham for 8 years“. Il m’offre le café de bienvenu tout ça de manière très protocolaire. Je sens que j’ai à faire à quelqu’un de respecté dans le camp. Mon interlocuteur est hyper agréable avec moi et me fait aussi pas mal rire. Youssef et lui règlent leurs affaires de frigo et l’ancien ingénieur commence à me parler, à me demander ce que je fais à Wihdat, combien de temps je reste ici, etc… Nous voici venu à parler de religion et de politique, les deux sujet défendus durant mon séjour, mais je n’ai pas vraiment le choix, j’écoute sans prendre position. Voilà qu’il commence à me sortir des phrases du style “we left Palestine because of the Jewish, you know, they stole our lands“ ; “there’s too many Jewish in France no ?“ Ca sent l’anti juif à plein nez et je n’aime pas vraiment ça. Il en vient à m’avouer qu’avant son départ pour l’Angleterre “I was a soldier…“. Heu ….? J’ai bien compris ? “I fought with the PLO of Yasser Arafat in Black September and then we left for Lebanon“.
Septembre noir ou la guerre des camps qui opposa l’armée jordanienne aux forces de Yasser Arafat en 1970 il me semble. On peut comparer cela à la guerre des camps du printemps dernier dans les camps du nord du Liban, mais avec l'OLP a la place du Hezbollah. Je comprends un peu mieux d’où viennent ses réticences envers les juifs, même si cela n’excuse rien.
Il m’invite à repasser dans quelques jours boire un café et discuter un peu. Je sens encore une fois que l’invitation est sincère et sans danger. Il est à la retraite et mène maintenant une vie tranquille loin des combats armés entre israéliens et arabes. J’y retournerai certainement avant mon départ.
Il y a aussi Bassam et son frère qui m’ont invité à manger un maqlubehee, le plat traditionnel de Palestine, après seulement 10 petites minutes de causerie dans une allée du souk. Même si encore une fois il était très difficile de communiquer, nous avons passé trois bonnes heures autour de la table du “salon-chambre des 4 enfants“, à beaucoup parler des droits de l’Homme. Ce furent d’ailleurs eux les premiers à m’alarmer sur la vision que les étrangers ont de notre nouvelle France. Nous avons aussi passé beaucoup de temps à parler d’éducation. Ce sont des gens qui n’ont pas fait d’études, mais ils accordent une immense importance à celles de leurs enfants. Ils remercient d’ailleurs beaucoup l’UNRWA de fournir un enseignement de qualité à leur progéniture. L’un des 5 enfants (dont un bébé de 4 mois) de Bassam veut devenir docteur et un autre ingénieur. Ils ont déjà beaucoup d’ambition, c’est bien. L’un des deux est premier de sa classe et fait la fierté de la famille. Son père n’était pas peu fier de me montrer ses bulletins de notes. Il m’a d’ailleurs confié que la seule chose qui contait pour lui était que ses enfants réussissent pour avoir un vrai métier et ne pas finir maçon comme leur père…
On dirait que l’accueil des étrangers est une chose qui s’inculque dès le plus jeune âge dans ce pays. Le plus vieux de ses fils m’a offert quelques billes. Encore une fois je refuse, mais là, en plus du petit, ce sont les deux frères qui m’obligent à accepter !
Bon, dernier exemple. Je ne peux pas ne pas évoquer Sami, le chauffeur de taxi, mais celui là, je crois que vous le connaissez déjà. Je dois le voir ce week-end car il a des problèmes en ce moment ce qui fait que nous ne nous ne sommes pas vu cette semaine.
En parlant de chauffeur de taxi, j’en ai rencontré un nouveau cet aprèm’, il nous a emmené à la mer Morte et nous avons pas mal discuté encore une fois. Il s’est d’ailleurs fait récemment recaler une demande de visa par notre nouveau et très beau ministère de l’immigration et de l’identité nationale…En tout cas, il ne nous en a pas tenu rigueur. Il doit même me faire visiter le grand marché central d’Amman mardi prochain. En fait, c’est de là-bas que provient la marchandise vendue dans le souk du camp, voilà d’où vient mon intérêt pour le Rungis jordanien.

Désolé pour cet article qui me paraît être un peu désordonné, mais c’est aussi comme ça que ça se passe ici, un joyeux bordel dans un monde de doux !

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